Intro

Jérôme Dupont, MCF-HDR en art et design, Université de Nîmes

 

« Qui enseigne sans émanciper abrutit. Et qui émancipe n’a pas à se préoccuper de ce que l’émancipé doit apprendre ».  Jacques Rancière, Le Maître ignorant, 1987. 

 

De l’ordonnance de Louis XIV sur l’obligation de l’instruction dans les écoles paroissiales à l’école buissonnière, cette contre-école clandestine qui se développa dans les bois dans laquelle était transmise la pensée luthérienne ; Global-tools la contre école d’architecture et de design créée dans le cadre du mouvement radical, montre que cette modalité buissonnière se rejoue à la fais dans le contexte contemporain et dans celui du design. L’école buissonnière comme toute manière de déroger à une norme éclaire cette dernière en la mettant en regard de pratiques critiques qui dévoilent ses tensions sous-jacentes. La contre-école n’est, en effet, pas une anti-école, bien au contraire, il s’agit bien ici de faire école. Or, c’est justement en tant que pratique critique vis-à-vis des structures dominantes qu’elle se constitue comme production de savoir. De ce point de vue, la contre-école montre que les relations entre pédagogie, norme et société sont complexes. 

Leur complexité se jouent notamment car elles s’instaurent dans un double projet aux enjeux divergents : d’une part la construction et la consolidation de la société comme institution dans lequel les formations apparaissent comme un socle fondamental et d’autre part l’émancipation des individus dans la création de nouvelles manières de faire société. Les projets d’enseigner, de former et d’éduquer sont ainsi en tension permanente entre l'institué et l’émergence du nouveau, le design comme projet et comme objet pédagogique n’échappe pas à ces tensions. C’est d’ailleurs ce que nous dit le mot « pédagogue » qui vient du grec « païdagôgos » désignant primitivement un esclave chargé de conduire à l’école l’enfant de citoyens libres. Ce mot et ce métier émergent ainsi au cœur de problématiques de domination et d’inégalité sociale. Or, cet aspect traverse une autre histoire de la pédagogie que Jacques Rancière actualise dans le contexte de la pensée contemporaine dans son ouvrage Le Maître ignorant. Ce dernier y travaille un enjeu sous-jacent fondamental : celui de la relation et de la tension entre une éducation institutionnalisée et une action politique progressiste. 

 

 Présentation des axes de la partie 

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Pour un avenir radieux des écoles d'art et design (titre non définitif)

Texte en cours de rédaction à plusieurs mains : Caroline, Lucile Bataille, Sébastien Biniek (Structure Bâtons, enseignant·es en école d'art et design), Elizabeth Hale

(Caroline) Axe envisagé : un retour sur la mobilisation des écoles d'art et design pour réancrer l'importance de certaines approches pédagogiques et enseignements de ces écoles pour être en capacité de concevoir des futurs désirables.

> J'avais noté, dans le premier mail envoyé à Lucile :

Dans le cadre de la mobilisation Écoles d’art et design en lutte, nous nous apprêtons à entamer un travail prospectif sur l’école idéale afin de montrer au gouvernement que nous pouvons être forces de propositions et pas uniquement de contestation. Tu insistes souvent dans les discussions sur l’importance de l’ancrage territorial pour une école et d’une inscription à une échelle locale. Et tu revendiques la pratique du design social comme étant une part importante dans la pédagogie de l’école et comme étant aussi un endroit depuis lequel fabriquer des rapports au monde plus explicitement positionnés politiquement et plus désirables, plus durables écologiquement et plus justes socialement.

Une question que je me pose est de savoir comment le design social et son enseignement peuvent nous informer sur la complexité des pratiques artistiques et leur rôle dans la société. Ce qu’on entend fréquemment, y compris dans les assemblées générales ou dans les textes publiés pour appeler les travailleur.euses de l’art à la grève dans le cadre du mouvement contre la réforme des retraites, est que les artistes doivent mettre leurs savoirs faire au service de la lutte. Ces savoirs faire sont principalement ceux de produire des images, des représentations symboliques, mettre des textes en page, faire des affiches et des tracts. Il y a des artistes ou des designers qui ont une pratique de l’image, de la communication au sens large, mais ce n’est pas le cas de toustes. On parlait hier de la pratique du jardinage, qu’on pourrait donc rapporter à la permaculture qui a été conçue par des designers. Et donc de recentrer, peut être, d’inscrire dans les pratiques des artistes et designers, les notions d’écologie et d’économie, une capacité à mettre en place et à penser, et à interagir dans des systèmes complexes.

> J'avais noté, suite à ma première visite à Valenciennes en juin :

Titre possible de notre contribution : Qui prépare les sandwichs? Constat que ça n’intéresse personne (dans les écoles ou dans les assos de manière assez générale) de savoir qui prépare les sandwichs, ni de savoir qu’il n’y a plus d’argent pour acheter des timbres, ni pour faire fonctionner l’école. Ni d’ailleurs de prendre en charge les problèmes de sexisme ou de racisme plus ou moins ordinaire. Ce qui compte c’est d’écrire des manifestes anti-capitalistes qui claquent mais qui ne résolvent en rien la question de savoir qui s’occupe de la maintenance quotidienne puisque ce n’est jamais le sujet.

Postulat pourrait être qu'il y aura de l’innovation sociale quand le design prendra en compte la question de savoir qui prépare les sandwichs, qui ramasse les poubelles, qui se soucie de savoir si les étudiant.es savent allumer un ordinateur, si les enseignant.es ont des conditions de travail qui leur permettent de se soucier de ça. 

Se demander qui prépare les sandwichs c’est aussi envisager que ce soit une charge mentale et de travail portée collectivement, en visant l’autonomie, tout comme il est possible d’envisager d’organiser un atelier d’impression de manière à ce que la porte reste toujours ouverte parce que chacun.e, étudiant.e comme enseignant.e, s’en sait responsable. Il n’est plus question d’apprendre à bien imprimer, mais de passer les commandes de consommable ensemble, de connaître le budget de fonctionnement de l’atelier et donc de l’utiliser en conscience de l’économie d’un tel lieu. Ça ne fait pas du jour au lendemain. Ça nécessite plus d’une année de mise en œuvre avec des étapes jusqu’à ce que penser aux sandwichs et les préparer deviennent une habitude collective. Ensuite on peut discuter de ce qu’est un bon sandwich. Se donner des conseils sur les manières de faire bien ou mieux, et continuer à expérimenter. 

> Lors de ma dernière visite à Valenciennes, on a reparlé de cette capacité à concevoir des futurs désirables. La difficulté / complexité réside probablement dans cet aller-retour permanent entre capacité à concevoir ce qui n'est pas encore là, et la capacité à y inclure les problématiques de maintenance quotidienne. Sur quelles pédagogies, manières de transmettre, contextes d'apprentissages collectifs on peut s'appuyer et pourquoi est-ce que l'art et le design seraient des disciplines plus aptes à le faire?    

« La valeur immense accordée à̀ l’innovation n’a-t-elle pas fini par occulter complètement l’importance de ces tâches ingrates et pourtant essentielles qui consistent à̀ prêter attention à la fragilité́ des choses et à intervenir régulièrement pour assurer leur pérennité́ ? “ (David Pontille, Le soin des choses, La Découverte).
 

titre

premère partie

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Mes travaux s’inscrivent en géographe sociale avec une approche issue des modélisations d’accompagnements. J’ai travaillé durant ma thèse sur les représentations sociales afin de pouvoir les cerner et éventuellement les saisir en travaillant avec des agriculteurs autour de mises en situation pour essayer de construire des artefacts qui permettent de représenter, de donner à voir les représentations des différentes personnes dans un travail de modélisations et d’accompagnement. L’une des idées maîtresses est que dans la question de la gestion des systèmes environnementaux, l’une des problématiques est leur pluralité. Au fur à mesure, j’ai glissé vers d’autres approches en lien avec la modélisation et la simulation participative par le jeu et l’usage, ce qu’on appelle simulation and gaming et qui est déployée soit dans le cadre éducatif soit dans des cadres d’appui à l’action collective. On y retrouve un certain nombre d’éléments communs au design par la modélisation de l’accompagnement donc de l’artefact, mais, également du rapport à cet artefact. La présentation s’articule en trois temps, le premier à partir d’éléments plus conceptuels puis je présente deux cas d’applications.

 

Ce que l’on retrouve dans ces simulations participatives c’est une approche de la représentation des interactions qui existent entre différentes entités. La modélisation multi agents est une branche de la modélisation de l’intelligence artificielle distribuée (IAD). Au départ, l’un des objectifs de l’IAD était d’arriver à condenser dans une même machine tout un système qui permettrait de reproduire l’intelligence. Puis d’autres approches ont émergé en ciblant les interactions entre de multiples petites entités, d’où l’analogie avec la fourmilière et le système multi agents. L’idée était de parvenir à personnaliser, à représenter un système en interaction avec des agents qui soient autonomes, dotés de représentations et de système de décision. En 1992 le Sommet de Rio a posé la participation des parties-prenantes comme pierre angulaire du développement durable et ces champs émergents ont croisé les questions socio-écosystèmiques et l’inclusion des acteurs dans les réflexions autour des territoires. On a ainsi un système de jeu où certains agents du système sont des individus qui vont faire partie de la simulation et l’orienter. Dans ces simulations participatives, l’idée de participation vient du fait que l’objet même, le processus de simulation, est partagé entre différents individus. Ces éléments sont à relier avec tout un champ conceptuel théorique autour de l’apprentissage expérientiel et de l’apprentissage social. Cette expérience sensible, puisque jouée en présentiel, est également déployée en distanciel dans des recherches. Pour ma part je ne le pratique qu’en présentiel où les interactions sociales peuvent exister dans un moment vécu et partagé. Un jeu est un espace fini temporellement et spatialement, bien que certaines formes de jeu puissent déborder ces cadres. Lors du débriefing les participants vont essayer de prendre du recul par rapport aux expériences vécues. Ensuite, on va se servir de ces différentes expériences pour tenter d’enrichir le propos initial. Il existe de multiples formes de jeux, notamment les jeux dits sérieux dont la finalité principale n’est pas le divertissement. Dans les persuasives games, il s’agit de renforcer un message donné ou d’enrôler des personnes. C’est un jeu assez connu qui avait été promu par l’armée américaine pour augmenter l’enrôlement des troupes. De mon point de vue, c’est problématique puisque l’intention est de persuader du chemin à prendre et le jeu ne propose pas d’alternative. La question n’est pas tant l’objectif à atteindre, ici il s’agissait de rentrer dans l’armée, mais sur les modalités et actuellement les incitations aux comportements écologiques (i.e. trier ses déchet) se basent sur les mêmes mécanismes. Il n’y a pas de possibilité pour le joueur d’agir autrement, ce qui pose la question éthique de la liberté du jeu (freeplay) ? Doit-on forcément gagner ou perdre et existe-t-il des alternatives ou des manières de « gagner autrement » ? Les simulations participatives quant à elles, cherchent plutôt à comprendre ou à appréhender une communication complexe. Les joueurs doivent communiquer avec l’artefact de manière dynamique, ils doivent communiquer entre eux et s’adapter à l’environnement. L’intention est généralement de l’appui à l’action collective autour des problématiques qui sont représentées. Il existe différentes écoles : l’école de simulation gaming, de la modernisation de l’accompagnement et diverses autres. La simulation gaming est une approche qui date des années 1960 et qui a pris naissance aux États-Unis et en URSS puis en Hollande, en Allemagne et en Australie. En France nous avons un rapport au jeu qui est, si ce n’est ambivalent, en tout cas perçu comme plutôt lié à l’enfance et aux expériences sensibles. Mais à partir de 1995-1996, un courant a émergé dans l’hexagone autour de la modélisation comme outil d’accompagnement[1]. Le jeu est essentiellement une expérience. L’anglais distingue le play et le game, tandis que le français utilise le même mot pour exprimer ces deux notions. Il s’agit bien de la rencontre entre l’artefact et le joueur qui a un comportement, qui possède ses propres représentations et sa propre sensibilité. Le design amène à penser les deux en interdépendance car on ne saurait se limiter à la conception de l’artefact. Il faut tenir compte des typologies de relations, de la représentation que se font les personnes de la problématique, du cadre de l’expérience, etc. Je ne suis pas en accord avec ceux qui s’arrêtent à la production de profils psychologiques (i.e. les personas) parce que le jeu va aussi se déployer à travers la rencontre entre les valeurs individuelles de chacun des joueurs et ne se limite pas à l’artefact, il est le produit de cet ensemble. Pour mieux l’expliquer je représente ce que j’appelle « design in the small » et « design in the large » (Fig.1). Ces simulations sont déployées par exemple auprès d’acteurs dans les territoires qui ont un risque de submersion à gérer ou un problème d’embroussaillement, donc différents types de problématiques appliqués à des questions environnementales. Le jeu peut être joué plusieurs fois en fonction de la réaction des joueurs, ce qui est indiqué dans la partie basse du schéma. Design in the small (DIS) correspond à la dimension de l’artefact. Des « COPIL » (ou debriefs) sont réalisés après les premiers ateliers, entraînant des évolutions dans l’artefact. Le jeu est déployé à plusieurs reprises et interroge l’appropriation faite par les joueurs au niveau de leur territoire ou au niveau de l’organisme dans lequel ils sont. Dans la partie supérieure du schéma est représentée la sphère sociale dans laquelle les gens évoluent, des arènes d’actions qui sont des arènes de décisions. Par exemple cela peut être le syndicat mixte de gestion des eaux dont l’un des membres a participé au jeu ou bien des joueurs qui vont se retrouver dans telle autre arène de discussion. Qu’est-ce que l’on en retire, qu’est-ce que les gens qui ont joué au jeu en retirent ? Ce n’est malheureusement pas évident de tracer leurs actions, de déterminer qu’ils ont décidé de gérer le niveau d’eau dans le marais de telle sorte parce qu’il s’est passé ceci ou cela dans le jeu. C’est difficilement traçable parce les temporalités sont différentes. La partie Design in the large (DIL) vise à interroger la façon dont la sphère sociale et la sphère professionnelle dans lesquelles évoluent les personnes, interagissent avec la partie Design in the small, dans le déploiement de l’artefact. La publicisation du jeu, l’interpellation dans des comités de direction, la recherche de connaissances complémentaires, etc. sont autant d’externalités issues du jeu initial. Design in the large permet de mieux comprendre la façon dont se déploie le jeu et la façon dont il peut entrer en résonnance sur le territoire, en passant par différents leviers.

Figure 1 : Design in the small vs design in the large (Becu, 2022)

 

 

Le projet LittoSIM[1](2018-2022) a démarré initialement dans un contexte post-Xinthia. Cette tempête majeure qui a balayé l’Europe en février 2010 a fait d’énormes dégâts tant humains que financiers (35 victimes recensées en France) et a occasionné des submersions marines exceptionnelles sur le littoral vendéen. Un état des lieux a montré un déficit en termes de culture du risque tant du côté des habitants que des élus et des gestionnaires. Le projet de départ avait pour objectif d’apprendre par l’expérience en se basant sur des apprentissages ludique et social, en renforçant la connaissance de ces acteurs à travers des modes de prévention alternatifs. Il existe plusieurs façons de se prémunir dans le temps long de l’aménagement. L’une d’elles consiste à construire des digues pour éviter que la submersion marine ne puisse rentrer dans les terres. Mais cette stratégie entraîne un sentiment de sécurité chez les habitants qui, paradoxalement, entrave les mesures de protection individuelles tout en augmentant le risque en cas de rupture des digues. Dans le contexte du dérèglement climatique, la mer a tendance à monter donc il faudrait construire des digues de plus en plus hautes. Or on ne va pas construire des digues sur l’ensemble du littoral et sur le long terme ce n’est évidemment pas la meilleure option. L’idée est de s’orienter vers des stratégies alternatives (ou défenses douces) de repli stratégique ou de relocalisation des biens. Dans cette simulation, les joueurs travaillent par équipes de deux personnes et chaque équipe gère une commune. À travers l’interface, ils peuvent déployer différentes options parmi l’ensemble des stratégies possibles, de la défense dure à la défense douce. Le modèle calcule la submersion en couplant un modèle physique et un modèle hydrodynamique à partir d’un certain nombre de paramètres physiques. Au niveau du modèle multi agent, les plateformes de modélisation utilisées sont Swap Gamma, Canmas ou Netego. Les parties prenantes sont réfléchies via un protocole qui s’appelle, le protocole ARDI, pour Acteur Ressource Dynamique Interaction. Nous listons les différents les facteurs de pression : les acteurs, les ressources, les dynamiques environnementales, climatiques, etc. Puis les interactions entre ces acteurs et ces ressources et s’ensuit une partie de codage des différents éléments. Selon les projets, les gradients de co-construction varient, mais cette démarche ARDI est anthropocentrée puisqu’on commence par définir les acteurs qui sont agentifiés. C’est autour de l’agent que se construit le schéma global en intégrant la façon dont ils agissent les uns avec les autres mais également avec les ressources disponibles. En termes de protocole, nous effectuons un suivi-évaluation : nous menons des entretiens avec deux à trois des douze participants (soit un quart des ateliers) avant et après les ateliers. Lors des phases d’observation, les données sont enregistrées (ce qu’ils disent, leurs actions) puis nous soumettons un questionnaire avant et après à l’ensemble des participants. Le multiniveau est systématiquement présent dans la plupart des dispositifs de simulation participative proches de l’école de la modélisation participative. Il reprend un des paradigmes, du concept multi agent, qui est la question de l’émergence et la façon dont le système complexe est abordé : ce que montre l’expérience, ce qui émerge des interactions. Du point de vue théorique, ce qui est simulé c’est par exemple, l’émergence ou pas d’une solidarité territoriale au niveau des communes, les conséquences engendrées par la digue sur la commune d’à côté.

 

Durant l’atelier, on simule une submersion et les joueurs vont constater les effets produits en fonction de leurs actions de prévention. L’intérêt est de montrer non seulement les conséquences mais surtout les interdépendances entre les choix politique et stratégique des équipes. L’atelier est rythmé en différents temps : on crée une tension, ou en tout cas une difficulté à faire face à cet aléa, puis il y a un temps plus réflexif pour aboutir à un temps de coopération. Il s’agit pour les quatre communes d’essayer de trouver des moyens communs pour se coordonner et faire face ensemble à la problématique. Dans le dispositif, il n’y a pas de parti pris de départ, les joueurs peuvent construire des digues tout le long s’ils le souhaitent ou ne rien faire. Le scénario n’est pas contraint mais une agence du risque représente l’État avec des directives assez claires concernant les subventions aux projets et elle tient compte des stratégies à une échelle nationale. Le dispositif a été déployé en 2017 sur le territoire de l’île d’Oléron avec quatre ou cinq ateliers qu’on a faits avec les élus. Les retours ont été très positifs. La terminologie employée est un élément important. Le terme « jeu » ou la manière de présenter le dispositif ludique et son artefact sont des éléments qui peuvent déstabiliser les personnes concernées. Durant les ateliers, nous constatons que ce n’est pas toujours bien compris au départ mais que ces réticences initiales finissent par s’estomper une fois que les personnes interagissent ensemble. Volontairement nous ne présentons pas le dispositif comme un jeu mais comme une expérience, un atelier participatif ou une simulation. En revanche, nous nous appuyons sur la riche littérature issue des sciences du jeu (game studies) qui éclaire les questions de rapport au jeu, ses usages mais également des problématiques de l’attention. Et les interrogations que nous avons autour de la question d’expérience rejoignent finalement celles que vous avez en design. Nous ne nous limitons pas au jeu en tant qu’outil mais nous composons avec des attentes sociales à travers des cas d’application qui sont à chaque fois très différents. Avec le temps dans le jeu LittoSIM nous avons pu identifier trois typologies d’attitudes. La première posture est de l’ordre du rejet : les personnes n’adhèrent pas au dispositif. La dimension culturelle est extrêmement importante dans la manière d’aborder les choses. J’évoquais en préambule les préjugés que l’on peut avoir vis-à-vis du jeu dans le contexte culturel français. Il est évident que le statut des joueurs intervient dans la perception qu’ils vont avoir du dispositif ludique et cette forme de préjugé sera atténuée, ou au contraire renforcée, selon la façon dont cela leur sera présenté. Le fait que le modèle soit basé sur un modèle physique et hydrologique, scientifiquement robuste, est un point qui contribue à rassurer les acteurs. Nous sommes régulièrement interpellés sur les dimensions techniques, sur les coefficients de rugosité par exemple, alors que cela ne change pas la situation jouée mais la légitimité de l’artefact est renforcée. La deuxième est une attitude préréflexive, la personne s’approprie l’artefact et essaye de faire des corollaires avec sa réalité, en itération entre la situation de jeu et la situation réelle. La troisième catégorie regroupe les personnes qui investissent pleinement la situation ludique, qui viennent pour jouer. Mais ils passent un peu à côté des objectifs attendus. Cette attitude est en général corrélée avec une observabilité du jeu qui n’est pas optimale ce qui les empêchent de tisser des liens avec leur réalité, les conduisant à surinvestir la dimension ludique. Il existe toujours le risque qu’en traitant une situation sérieuse (une éventuelle catastrophe) à travers une approche ludique, des aspects soient simplifiés, des décalages trop importants s’opèrent et empêchent de pousser la réflexion suffisamment loin. Et c’est peut-être à ce niveau que les apports en termes d’esthétique et de formalisation du jeu par son artefact peuvent contrebalancer ce risque, en apportant des codes graphiques spécifiques. Il n’existe pas à ma connaissance de littérature qui montre une différence dans les perceptions par les acteurs entre un modèle abstrait et un modèle descriptif du territoire qui soit très fidèle à sa géographie. En revanche, ce qui est montré c’est que si c’est trop spécifique, le risque est que la discussion se focalise sur des problèmes trop particuliers qui vont faire perdre de vue le global et l’objectif initial.

 

D’autres territoires souhaitaient également le tester mais nous avions investi deux ans de recherche et cela nous a interrogé sur le contexte territorial et la transposition possible d’un dispositif qui était conçu initialement pour un territoire spécifique. Mettre en oeuvre un dispositif de simulation participative autour de la submersion marine nous a questionné sur la généricité. Si notre artefact est trop abstrait, il ne peut plus tenir suffisamment compte des contextes territoriaux singuliers et inversement. C’est ainsi que nous avons poursuivi après 2017 avec l’application LittoSIM, issue du projet financé par le CNRS. Dans l’application, nous pouvons intégrer un certain nombre de paramètres tels que par exemple l’allocation des ressources (avec quatre niveaux) et tout un ensemble de données plus descriptives. Nous avons procédé de manière très empirique. Nous pouvons nous interroger dans quelle mesure la généricité est anticipable du fait de la complexité territoriale. À ce stade nous n’avons pas de réponse. Notre méthode a consisté à construire à partir du terrain, de manière empirique. Nous faisons l’hypothèse que le sens émerge a posteriori par l’ancrage territorial et l’expérience qui est faite. L’archétype du territoire est présenté comme une première étape pour ensuite faire réagir et adapter. Nous avons ainsi expérimenté le concept de frame game, hérité des écoles de simulation gaming des années 1960 que j’ai évoquées précédemment. En tant que géographe tout se pense à partir du terrain. Dans le jeu qu’est-ce qui est de l’ordre de la structure et qu’est-ce qui est de l’ordre du contexte ? Comment dissocie-t-on les deux ? En mettant de côté la structure, peut-on remettre un autre contexte et ainsi l’appliquer à un autre cadre ? On se retrouve à jouer sur deux éléments : le content specifique et le frame game que nous appliquions sur un territoire. Après nous cherchions à évaluer ce qui avait nécessité ou pas d’être adapté. En adaptant en fonction des besoins nous avons finalement réussi à dégager l’essence de ce plan de jeu. Sur des questions de solidarité territoriale nous avons identifié des asymétries entre communes : par exemple une grande ville centrale et des petites villes périphériques. Leur pouvoir, leurs options et leur capacité d’action sont différentes, dès lors comment concilier des enjeux de solidarité et la mise en place d’une stratégie territoriale globale ? Par ailleurs, se pose la question de l’observabilité. Savoir si le jeu est réaliste n’est pas finalement une si bonne question. Ce qui compte, c’est que le jeu puisse être observable, qu’il permette aux participants de projeter un certain nombre de représentations qu’ils ont de la vraie vie. Changer les paramètres du modèle physique c’est de la technique. L’important, c’est de créer un minimum d’éléments dans l’artefact de manière à ce que les acteurs puissent se raccrocher à ce qui leur est proposé. Il y a l’observabilité avant et pendant le jeu. Durant le jeu il faut être en capacité de s’adapter, de réinventer de nouvelles règles, ou de réintroduire des paramètres selon les demandes des joueurs. Actuellement le dispositif de jeu ressemble à un kit comportant différents artefacts modifiables.

Nous l’avons appliqué en Camargue et cela a donné des résultats intéressants. Dans cet archétype-là, il y a des cordons dunaires de premier rang, de second rang, etc. À partir de ces trois grands archétypes, s’il y a besoin ils peuvent être réadaptés, réajustés. Nous nous sommes aperçus que la succession des submersions variait. C’est le seul élément de scénario, qui est scénarisé. Cela peut être des submersions fortes, des submersions faibles ou par alternance ? En Camargue, ce qui était important pour les joueurs, c’était d’avoir une gradation du moins fort au plus fort. C’était leur façon d’envisager l’enjeu de submersion, dans une progression qui s’accentuait sur le territoire. Et de nouveau des questions d’asymétries entre les territoires communaux. Ce que nous avons retenu également c’est bien sûr la question de de l’artefact en lui-même, mais pour arriver à faire cela jamais nous n’aurions pu le faire de manière parachutée sur le territoire. Cela n’a jamais été possible, même en essayant pour tester, il fallait être invité ou connaître des acteurs locaux. Cette approche fine nécessite d’avoir un ancrage territorial. Le jeu a été déployé dans cinq ou six territoires sur les trois littoraux français (Atlantique, Méditerranée et Normandie). À chaque fois nous avons mis en place un comité de pilotage, en constituant un panel de six ou sept personnes en amont. Le dispositif leur est présenté et nous intégrons leurs paramètres d’observabilité avec le protocole suivant : à la première réunion, ils le découvrent ; à la deuxième, nous nous mettons d’accord sur les types d’occupations du sol qu’il fallait ajouter ou changer. À la troisième, nous travaillons le scénario et les types de submersions. Il est important que le modèle soit co-construit, discuté et débattu avec les différentes parties prenantes. Au début, nous travaillons avec des acteurs ayant une vision supra-territoriale que l’on va peu à peu nuancer avec des acteurs locaux. À partir de la troisième ou de la quatrième fois, nous établissons la liste des joueurs à convier. Car selon les personnes invitées le résultat varie. Une étape essentielle à ne pas omettre est la phase post jeu, le debriefing. Elle permet aux joueurs de prendre part pleinement à l’expérience qui est faite, jusqu’à pouvoir exprimer leur désappointement ou leurs doutes. A contrario, ils peuvent apporter des enrichissements à côté desquels nous serions passés à côté, leur façon de gagner autrement, en lien avec cette liberté de jeu que j’évoquais précédemment. Nous avons cessé le développement du point de vue de la recherche et désormais ce sont les CPIE (Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement) qui vont le déployer à travers les territoires.

 

L’innovation sociale présentée dans cette démarche est constituée d’apports tant techniques que sociaux, dans une arène expérientielle et de confrontations, au sens de dialogue et d’échanges. Les retours issus des questionnaires et des entretiens montrent que pour les participants la part de l’apprentissage est extrêmement importante, bien plus que la part technique. L’innovation sociale consiste à pouvoir aborder ces enjeux selon des échelles différentes (élus, habitants, gestionnaires) et de construire des stratégies partagées et appropriées, c’est-à-dire que chacun peut s’en saisir pour co-construire des solutions à mettre en œuvre sur le territoire. Cela permet de présenter d’emblée les enjeux dans ces différentes sphères, technique, sociale et également dialogique. Le dispositif permet l’hybridation des différentes dimensions de la décision. Cette présentation d’un travail de recherche géographique orientée sur l’innovation sociale et territoriale fait écho aux interrogations qui traversent les travaux de recherche en design sur la transposabilité du projet, la gestion du passage à l’échelle qu’elle soit individuelle ou communale, sociale ou spatiale. Comment peut-on transposer le projet en termes de politique publique ? En innovant socialement sur un territoire, cela contribue à faire évoluer la trajectoire même de ce territoire qui, de façon itérative, va modeler les interactions sociales, les ressentis et les perceptions individuelles. Paradoxalement, plus l’impact du numérique dans nos existences semble nous extraire d’un ancrage territorial, plus il exerce in fine une pression environnementale qui nous fait basculer dans l’Anthropocène… et nous ramène à notre condition territorialement située.

 

[1] Projet LittoSIM (consulté le 9/05/2023) : https://littosim.hypotheses.org/

[1] Commod (consulté le 9/05/2023) : https://www.commod.org/

Biomatériaux / vivre (travailler, concevoir) avec les vivant·es

notes de notre réunion du 30 novembre

 

INTRO

D'où on part :
se situer dans la méta-institution

Biofilm (reprendre la définition)
Fermentation apport parabiotique - Parting Bites + se comprendre comme entité composite
Symbiose comme objet de discussion et prétexte de collaborations sociales

Poser la question
Comment on consomme les vivants ?
dans le sens alimentaire et dans le sens marxiste

PART 1 - Dimension sociale

Comment on constitue un réseau, tissus social ?
La kombucha comme prétexte d'un vivre ensemble, objet d'un attention, on en parle, on la fait circuler, elle occupe notre temps, notre imaginaire, nos discours, elle participe de la mise en mots et en actions d'imaginaires
construction et incarnation d'un imaginaire
imaginaire alternatif au constat mortifère des impacts du modèle moderne et industriel
le biofilm de la vie

PART 2 - Domestication 

compréhension des stratégies des bactéries de la kombucha pour créer les dispositifs les plus adaptés à son développement
finalité = plus de cellulose, directionnaliser, fonctionnaliser
cela ramène la question de l'éthique
et se reposer la question du biodesign
thématique de la domestication comme manipulation (est-ce que c'est seulement ça ?)
revoir de près ce que c'est, "domestication" en éthologie

CONLUSION / OUVERTURE 

Les questions vers lesquelles on arrive

anthropocène
théorie holombionte / sentience
question de l'intention
question de l'exploitation
du contrôle (artificialité et hermétisme des espaces de vie humaine, jusqu'à être aseptique, par nécessité vitale de se protéger)

 

ref.:
l'insoutenable légerté des penseurs du vivant
abondance et liberté
ontologie et matérialité chez Wittgenstein

 

 

 

 

partir des pratiques
qu'est-ce qu'on fait quand on travail, vit, avec les vivants ?

Qu'est-ce que ça veut dire à petite échelle de travailler, vivre avec les vivants ?
entrer dans une saisonalité — ne pas chauffer

qu'est-ce qui motive la nécessité de production ?
contexte humain, contraintes : économique (vendre de la kombucha), observations et publi de recherche (thèse), quelle nécessité vitale ?
logique de permaculture

Le fond c'est la production
vivre, travailler, concevoir
avec qui tu commences (dimention sociale) ?
dans quel écosystème social et culturel ?

Mise en application sincère et à petite échelle du Cradle to Cradle
enquête empirique sur la circulation de l'énergie
qui travaille, qui transforme, qui produit quoi

Évolution des pratiques professionnelles

1.(premier jet collectif 2021-2022)

2. (ajouts LH)

 
 
Il faudra peut-être questionner ce que l'on trouve dans les mages wikipaedia ou alors les compléter nous-même :
 
coconception, codesign, co-design, design participatif
https://fr.wikipedia.org/wiki/Conception_participative
 
Co-design, Participatory design
https://en.wikipedia.org/wiki/Participatory_design