Présents à Paris pour la clôture de la Caravane de la démocratie, les leaders de la société civile issus de 7 pays d’Afrique et membres de la campagne internationale Tournons La Page pour l’alternance démocratique en Afrique interpellent le président français sur son rapport au continent. Ils exigent un renouveau de la politique africaine de la France.
Monsieur le Président de la République,
Réunis à Paris pour la clôture de la caravane de la démocratie, nous, coordonnateurs des sept coalitions africaines de la campagne Tournons La Page, lancée le 15 octobre 2014 pour promouvoir l’alternance démocratique en Afrique, vous souhaitons la bienvenue sur le continent africain dans le cadre de votre prochaine participation au 5ème Sommet Union africaine-Union européenne du 27 au 30 novembre à Abidjan sur le thème : « Investir dans la jeunesse pour un avenir durable ».
Dans deux rapports intitulés « En Afrique comme ailleurs, pas de démocratie sans alternance », et « Pas de démocratie sans justice fiscale », Tournons La Page milite pour l’alternance démocratique et l’instauration de vraies démocraties qui redonneraient espoir à une jeunesse sans avenir avec les régimes en place.
Le premier rapport fait ressortir la longévité record des dirigeants africains au pouvoir, juste après la Corée du Nord, marquée par des gouvernances autoritaires. Dans un grand nombre de pays africains, en majorité francophones, dont nous sommes originaires (Burundi, Cameroun, Congo, Gabon, Niger, République Démocratique du Congo et Tchad), on constate un déficit démocratique et une mal gouvernance exacerbée. Depuis 2015, les élections sont systématiquement truquées et le verdict des urnes falsifié, les droits humains largement bafoués, de plus en plus d’opposants emprisonnés, la justice instrumentalisée, les communications régulièrement coupées, en particulier pendant les élections (internet, téléphones et radio), les médias muselés et violentés, les manifestations et réunions interdites et réprimées dans le sang et les constitutions manipulées. De tout cela résultent des crises politiques post-électorales, des guerres civiles, voire des conflits armés.
Dans notre deuxième rapport, nous dénonçons la collusion fréquente entre les pouvoirs politiques et les multinationales, laquelle enrichit les uns et les autres au détriment de la population privée des services sociaux de base. Ces régimes autoritaires et prédateurs accaparent les ressources et verrouillent les institutions pour s’enrichir et se maintenir au pouvoir ad vitam aeternam. Ce système de prédation constitue une menace d’explosion sociale et de faillite des Etats. Les risques élevés de radicalisation des acteurs sociaux, surtout la vulnérabilité de la jeunesse constituent de véritables bombes à retardement : chômage explosif et avenir bouché nourrissent terrorisme et insécurité, sans compter les effets du changement climatique, ce qui pousse les jeunes vers des migrations risquées.
Si le discours de François Mitterrand à la Baule en 1989 a suscité de grands espoirs pour la démocratie et le développement en Afrique, les résultats ne sont toujours pas à la hauteur des attentes. Quand la relation privilégiée de la France avec l’Afrique va-t-elle enfin sortir du système mafieux de la Françafrique ? Beaucoup d’Africains indexent la France comme source de tous leurs maux et de leurs souffrances au quotidien.
Il existe des accords de coopération militaire entre la France et nos pays. La France devrait les suspendre avec tous les Etats africains dont les armées violent, tuent et oppriment leur population. Au nom de l’éthique et du respect des droits humains, nous avons besoin d’armées républicaines et non de mercenaires au service des dirigeants.
Par ailleurs, l’avènement de la démocratie ne constitue nullement une menace pour les entreprises françaises qui trouveront toujours leur intérêt dans ces pays, à condition qu’elles cessent de soutenir des dictateurs qui oppriment leurs peuples et les confinent dans la misère et le désespoir. Un cercle vertueux des affaires peut pleinement soutenir les intérêts des uns et des autres et contribuer à un développement durable de nos peuples.
Monsieur le Président,
Au regard de votre choix d’ouvrir votre gouvernement à la société civile et suite à l’analyse de votre discours à la Sorbonne, nous osons espérer que vous êtes déterminé, comme nous, à tourner la page des dictatures africaines et à entrer dans l’histoire en prenant des positions courageuses et innovantes dans la politique extérieure de la France.
Dans ce contexte, voici les demandes que nous vous adressons. Il y a urgence à :
· demander la libération immédiate et inconditionnelle des prisonniers politiques et renforcer la protection des défenseurs des droits humains qui vivent sous une menace quasi permanente ;
· soutenir les actions des sociétés civiles indépendantes engagées à promouvoir des processus d’alternances démocratiques ;
· appuyer avec l’Union européenne et l’Union africaine la réforme de systèmes électoraux viciés et dévoyés par la violence d’Etat depuis l’élaboration des listes électorales jusqu’à la proclamation des résultats ;
· ne pas reconnaître, sur la base de standards internationaux, les régimes issus de coups de force électoraux et les sanctionner ;
· encourager la démocratie locale par une réelle mise en œuvre des lois de décentralisation ;
· défendre pleinement les libertés fondamentales d’expression, d’information, de réunion et de manifestation ;
· condamner fermement les coupures d’internet et de téléphone ;
· accroître les moyens des organisations de la société civile française qui soutiennent celles de l’Afrique. Dans le discours de la Sorbonne, vous vous êtes engagé à augmenter l’aide publique au développement. Nous souhaitons qu’une part plus importante soit orientée vers ces associations.
Monsieur le Président,
Dans votre discours de la Sorbonne, vous avez présenté l’Afrique « comme le partenaire stratégique avec lequel nous avons à affronter les défis de demain : l’emploi de la jeunesse, la mobilité, la lutte contre le changement climatique, les révolutions technologiques ». Or, ces défis ne peuvent être relevés que dans un environnement pleinement démocratique.
Présents à Abidjan durant le Sommet, nous serions honorés de pouvoir vous y rencontrer.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en l’expression de notre plus haute considération.
Pour le Burundi : Janvier BIGIRIMANA
Pour le Cameroun : Jean Marc BIKOKO
Pour le Congo-Brazzaville : Brice MACKOSSO
Pour le Gabon : Marc ONA ESSANGUI
Pour le Niger : Maikoul ZODI
Pour la République Démocratique du Congo : Jean-Chrysostome KIJANA
Pour le Tchad : Jacques NGARASSAL SAHAM